Témoignage d’Alhasane, doctorant en sciences sociales et politiques, d’origine ivoirienne

« Le 22 février 1998 fut la date la plus marquante de mon existence : la concrétisation d’une prophétie faite lorsque j’avais 16 ans par Hadj Mamadou à ma tante : ‘Khadija : je vois l’avenir de ta progéniture au-delà de l’Océan, il ira vivre au milieu des Toubabs. Pour cela, il vous faut sacrifier un coq de couleur rouge et 30 noix de colas’.

C’est donc sous l’œil d’un hiver ensorcelé que j’atterris à Bruxelles National et ce fut mon premier contact avec un manteau blanc : spectacle naturel devant lequel je suis resté pantois. Après les formalités d’usage, les autorités invalidèrent mon visa sans la moindre explication. Conclusion : je devais prendre le vol de retour pour Abidjan. Sur place, je sentis le poids du ciel et de toutes les montagnes de l’Afrique sur mes épaules. Au dernier moment, je me résolus à l’idée de faire une demande d’asile. Après une semaine d’interminables interrogatoires, je reçus un avis positif qui me donna le droit d’accéder au territoire national belge. C’est au Centre d’Action Sociale de Linkebeek que je fus confié.

Sur place, Madame Anne Feliers, assistante Sociale d’une bonté indescriptible, m’accompagna durant ma procédure d’asile et mon processus d’insertion socio-professionnelle qui m’a conduit à la Faculté des Sciences Sociales et Politiques de l’ULB. Au sein de cet Institut, je n’étais pas du tout dépaysé, tant diverses nationalités se côtoyaient et s’entraidaient. Après ma Licence en Sciences Politiques et plusieurs mésaventures sur le marché de l’emploi - un univers où l’ombre de la discrimination côtoie fidèlement celle des personnes migrantes -, j’ai donc décidé de créer ma propre entreprise de télécommunication avec neuf employés. Parallèlement à cette activité, je me suis investi dans l’accompagnement et l’insertion socioprofessionnelle au sein de plusieurs associations.

Ces expériences m’ont fait découvrir que l’univers des migrants est un véritable laboratoire sociologique car, malgré le fait d’être régularisé, le chemin de croix de certaines catégories de migrants se prolonge sur le champ de l’insertion socioprofessionnelle.

Si la trajectoire des migrants est multiple et diverse, il y a néanmoins beaucoup de points de convergence, notamment le sentiment de se voir muer en une galette au dos et au devant brûlés : d’une part, la crainte perpétuelle de se voir enfermé un jour dans un centre de rétention en attendant une expulsion ; d’autre part, la pression sans cesse croissante des proches restés au pays invitant à faire face aux dépenses quotidiennes de la famille. Face à cette situation, le risque est de trouver refuge dans le bras de la dépression, de l’alcoolisme… ou d’être la proie de réseaux criminels qui n’hésiteront pas à vous employer dans divers trafics : trafic de drogue ou de produits contrefaits, proxénétisme...

Plus que jamais, la question de l’immigration reste donc un sujet stratégique qui nécessite une collaboration multilatérale tant au niveau des pays de départ que des pays d’arrivée. A ce niveau, les Etats doivent assurément davantage améliorer leur coopération avec les associations, fondations, et les personnes travaillant au quotidien avec les migrants ».