Imagination ou réalité dissociée

Cher Monsieur,

J'ai hésité un peu, puis, je me suis dit que le dialogue entre votre Fondation et la Fondation Josefa a un sens, suite aux deux évènements organisés par votre Fondation et auxquels j'ai pu assister

Lors du premier évènement, j'ai parlé brièvement du travail de notre Fondation. Certains aspects ne sont peut-être pas vraiment ressortis, étant donné que j'ai répondu aux questions plutôt que présenté la Fondation Josefa. Ce qui est ici à prendre en compte, c'est le statut de fondation d'utilité publique de la Fondation Josefa ; en ce sens, elle n'est pas « faith based ». Cependant, la Fondation et son équipe s’investissent dans le dialogue interreligieux et ultrareligieux en recherchant le développement intégral de la personne humaine par l’attention aux aspects sociaux, économiques, politiques, culturels et confessionnels. Josefa est une jeune fondation qui existe depuis 2011 et tend, ainsi, à s’inscrire pleinement dans une approche contemporaine renouvelée : « Tous migrants ». 

J'ai beaucoup réfléchi sur la vision Josefa en visitant votre exposition. L'approche que vous y proposez cherche à nous mettre dans la « peau » d'une personne réfugiée. Elle vise l'imagination et l'empathie du visiteur. La Fondation Josefa est, en quelque sorte, à l'opposé de cette approche, sans vouloir aucunement la discréditer. Nous sommes convaincus que la rencontre avec autrui se réalise pleinement si chacun demeure et préserve sa place afin qu’un dialogue authentique puisse s’envisager à partir de la question : où en suis-je dans ma vie de « migrant » ? Je partage une même réalité ou bien, en écoutant l'autre, je veux/peux participer à sa réalité.

Je suis convaincue que moi, en tant qu'« européenne », je ne peux pas, pour le moment en tout cas, « comprendre », par exemple, cette jeune femme de l'est du Congo, présentée au sein de votre exposition, en tant que personne réfugiée à cause des guerres dans cette région, violée, cherchant du travail, hébergée chez sa tante, en cherchant à m’approprier son identité. Ce n'est tout simplement pas possible. Certes, cela crée une réaction basée sur l'imagination et l’émotion. Ceci dit, si j’observe ma propre vie et celle de ma famille, tout en regardant ce que la fragilité de la personne de l'est du Congo me dit sur mes fragilités, ou bien je tends à comparer ses forces face à mes propres forces, ou bien alors peut apparaitre, entre deux personnes, un échange (silence, regard, parole) entre deux origines culturelles et sociétales différenciées et des situations incomparables. 

La remarque que je me permets de vous partager est la suivante : votre approche est certainement valable, mais je pense que la philosophie et la théologie, entre autres, nous ont donné aujourd'hui d'autres capacités de recherches qu’au sein de Josefa, nous essayons de mettre en pratique, qui conduisent à un dialogue plus respectueux des réalités singulières ou particulières, qu'on ne peut pas partager par la simple imagination. Je crois profondément que je ne peux pas m'imaginer d'être violée et, personnellement, je trouve que l'imagination ne respecte pas la douleur de l'autre personne ni son processus de guérison. Je peux écouter une personne violée et je peux rester avec elle dans sa douleur si je suis forte ; mais je ne peux pas « me mettre à sa place ». Pour Josefa, cette incapacité ne nie pas l'altérité sans quoi le dialogue serait définitivement impossible. Au contraire, le passage à l'écoute et à la rencontre devient possible sur base d’une altérité reconnue et vécue au gré d’une hospitalité en réciprocité. L’enjeu, sans précipitation, est de penser rencontrer autrui et, selon sa liberté, de se laisser rencontrer par autrui, d’une manière confiante, juste et vraie. Il s’agit, par-là, de se prémunir de sentiments de pitié qui peuvent assurément blesser celui ou celle qui se trouve, en particulier, rendu vulnérable par sa migration. 

Il me semble que, quand nous nous sommes parlé dans le cadre de l'exposition, vos recherches, en essayant d'éviter le sentimentalisme, allaient dans ce sens.

Voilà donc, en quelques mots, un des enjeux essentiels que porte la Fondation Josefa

Dès lors, si votre Fondation s'intéresse à la vision et à la mission de la Fondation Josefa, nous vous accueillerons bien volontiers dans nos espaces et ainsi, à la Maison Josefa à Bruxelles. La proposition Josefa est une invitation à repenser nos migrations, selon une approche globale (sociale, économique, culturelle et convictionnelle) et donc selon une approche expérimentale ancrée dans la praxis et la recherche. Si nous pouvons contribuer à la recherche de votre Fondation, nous le ferons bien volontiers.

Bien à vous.

Sigrid