Migration : Causes profondes

Traiter les causes profondes de la migration et du déplacement forcé est dans la bouche de tout le monde ces temps-ci ...

De Khartoum à La Valette via Londres, Sharm El Sheikh, Bruxelles et Addis Abeba, les acteurs internationaux et régionaux, les acteurs de la société civile, les acteurs gouvernementaux et intergouvernementaux, jusqu'à l'Assemblée générale des Nations Unies, tous se penchent sur l'analyse des causes, dites profondes, de la migration. Cela doit sans doute présumer que la migration est intrinsèquement un problème pour le genre humain, sinon pourquoi chercher à comprendre et vouloir résoudre ses causes profondes ? Dans tous les cas, sans vouloir aborder le sujet de la « légitimité » de la migration, nous pouvons convenir que la migration est, en effet, mauvaise dès lors qu'elle devient forcée, c’est à dire quand elle devient un moyen, sinon le seul, de trouver sécurité pour sa vie et protection pour son intégrité. Il nous semble pourtant que la manière d'aborder les causes profondes de la migration reste assez vaine dans le cas de la « libre » migration comme dans le cas de la migration forcée, puisque, dans les deux situations, nous restons à un niveau assez superficiel de l’analyse. L’objectif de cet article est de se concentrer sur d'autres types de causes profondes, souvent négligées dans la pensée actuelle.

Pourquoi donc ? La plupart des causes profondes citées et étudiées de la migration dite « non forcée », sont généralement : pauvreté, manque de développement (économique ?), peu ou manque d'accès aux soins de santé primaires et à l'éducation, famine et malnutrition ainsi qu’effets néfastes du changement climatique (désertification, hausse du niveau de la mer, pénurie d'eau, sécheresse...) et, dans la plupart des cas, une combinaison de certains de ces facteurs, sinon de tous. Les causes profondes directement liées à la migration « forcée » sont traditionnellement : persécution individuelle ou collective, conflits, guerres, violence généralisée, oppression, violation grave des droits de l'homme, manque de démocratie et de bonne gouvernance. Toutes ces adversités qui rendent difficile voire impossible de poursuivre une vie « régulière » sont des facteurs d'incitation, pour les personnes concernées, à se déplacer ailleurs, la plupart du temps de façon « irrégulière » - ce qui signifie sans remplir les formalités d'entrée du pays de destination - animées par le simple désir de trouver un lieu sûr et plus hospitalier pour vivre.

Comme nous le disions, notre réflexion propose un autre angle d’analyse des causes, dites profondes de la migration, moins souvent évoqué, moins publiquement débattu, et qui nous semble pourtant faire partie des causes majeures de la migration forcée ou même moins forcée, et qui, dans de nombreux cas, se révèlent en fait être les causes profondes des causes profondes. Nous tenons à les situer en trois catégories, pour la triste renommée de leur symbolisme, au-delà même de leurs effets dévastateurs. Ces noms sont Captagon, UBS, et Viktor Bout.

Pourquoi ces trois noms ?

Captagon - Drogue

Le Captagon[1] est une drogue récente, probablement inventée au début de la guerre en Syrie, produite à l'origine à l'extérieur de la Syrie et, depuis quelques années, au sein même de la Syrie, dans des contrées incontrôlées et encore incontrôlables. Cette production se développe rapidement et ce, à une échelle de plus en plus effrayante. La drogue Captagon a la capacité dévastatrice sur celui qui l’utilise de supprimer tout sentiment de peur, tout en procurant du « plaisir » à torturer et exécuter des êtres humains, et en éliminant ces actes atroces de l’esprit et de la conscience. Les pilules de Captagon sont connues pour être utilisées dans les zones de guerre en Syrie, mais, fait étrange, leur existence comme facteur de guerre est très peu rapportée médiatiquement. En Syrie, comme à Bruxelles, Paris, Istanbul, Kaboul, Ankara et ailleurs, la Captagon a probablement été et demeure un des réels moteurs de violence et de passage à l’acte des crimes terroristes. Derrière des motivations politiques et idéologiques à éventuellement vouloir faire du mal, le Captagon devient le moyen létal et émotionnellement indolore pour un passage à l’acte.

Le Captagon appartient donc à la seconde et la plus profonde couche des causes profondes de la migration. Dans la guerre moderne où la violence atteint des extrêmes intenables, il est difficile d'imaginer que quelqu’un puisse supporter la pression d’une telle violence, sans avoir recours à une drogue puissante. L'utilisation de la drogue dans les guerres n’est pas nouvelle en tant que telle et a déjà été bien documentée, y compris en Irak et en Libye plus récemment. Ceci dit, avec les nouvelles technologies et via une fabrication chimique rapide et facile, le Captagon coûte très peu cher sur les marchés de la guerre (une pilule est vendue pour quelques euros). Cela « aide » les guerriers modernes et les têtes pensantes terroristes à pousser les autres, souvent les plus jeunes, à tuer, exécuter, sans sentiment, sans douleur ni compassion et sans limites.

L'éradication du Captagon, l’arrêt de sa production, aurait pour conséquence directe un niveau moins anarchique et insoutenable de la violence. Cela ne voudrait pas dire l’avènement immédiat de la paix, mais donnerait une meilleure chance aux pourparlers de paix et au processus de réconciliation. Ainsi, avec le temps, les raisons de migration forcée et de quitter son pays deviendraient moindres et les raisons de retour plus nombreuses.

UBS[2] - Banque

Ce nom d'une célèbre banque suisse est pris à titre d’exemple depuis que la presse a récemment fait état du fait qu'un grand nombre de comptes bancaires français (ainsi que belges) étaient anonymement actifs dans cette banque pour une valeur minimum, en ce qui concerne les français, de 13 milliards d'euros. Et puisque la France ne représente que 7,5% de toutes les valeurs de cette banque, nous pouvons présumer que d'autres quantités vertigineuses d’argent appartenant à d’autres ressortissants sont également en train de dormir discrètement dans cette banque, ou dans une autre. Le propos est simplement de dire que cet argent « placé » est et reste en dehors de tout contrôle. Argent propre ? Peut-être, peut-être pas. De l'argent pour affaires, de l'argent pour les armes, pour les drogues, pour le commerce ou autres trafics - qui sait, qui contrôle ? Cela doit être lié au fait que nous avons également appris récemment que 67 individus[3] de la planète détiennent en termes monétaires la richesse financière équivalent aux revenus de 3,5 milliards d'autres personnes ! Et puisque l'argent est devenue la valeur première, derrière et devant toute autre, cela doit aussi être pris en considération lorsque nous parlons des causes profondes de la migration, qu’elle soit, dans ce cas, « forcée » ou, voire, plus « libre ». Puisque nous considérons qu'il n'y a pas de production de richesse en tant que telle, mais seulement un recyclage permanent de celle-ci, la partie infime des revenus laissée à la majorité de la planète - ou autrement dit le grand déséquilibre dans la répartition des richesses - est, selon nous, une cause importante des causes réelles de la migration. Cela ne revient pas à dire que toutes les banques sont à blâmer et que leur gestion laxiste provoquerait de la migration, mais à ne pas oublier que certaines, voire nombre d’entre elles, contribuent, indirectement, au phénomène migratoire en encourageant certains à faire de l'argent sur l'argent des autres (spéculation) ou encore en permettant sans aucun contrôle des transactions dramatiquement « illicites ».

Viktor Bout[4] - Marchand d’armes

Encore une fois, notre réflexion porte sur une industrie « illicite ». En effet, si les conflits sont causes de déplacements forcés, nous ne pouvons pas ignorer que le commerce d’armes est derrière toutes les guerres et conflits en alimentant leur violence. Cependant, il est nécessaire de faire la distinction entre le développement militaire public et la vente et l'acquisition illégale et illicite d'armes par des individus ou des groupes dirons-nous, non patentés. En effet, depuis que l'ancienne manière de faire la guerre, c’est-à-dire entre deux armées établies et formées, séparées par un front, a été remplacée par des théâtres d’opérations chaotiques et non régulés où des seigneurs de guerre improvisés, des chefs de tribu, des combattants de guérillas locales et des mercenaires prennent les armes pour autant de raisons qu'il y a de factions impliquées, il devient difficile de suivre le trafic des ventes d’armes. Certes, ce marché a toujours été opaque mais il le devient d’autant plus dans le cadre de conflits complexes qui rassemblent de plus en plus d’intervenants. La valeur totale du marché mondial des armes est estimée à environ 60 milliards de dollars par année, incluant environ 8 milliards attribués à des pistolets, des fusils, des mitrailleuses et des munitions. Le total du commerce illégal d'armes est de fait plus difficile à estimer, mais le marché illicite des armes légères a été estimé à 10-20% du commerce mondial des armes au total, ce qui représente entre 6 à 12 milliards de dollars. Viktor Bout est un célèbre négociant en armes. Il a alimenté des combattants irréguliers, des guérillas et des groupes terroristes en armes dans de nombreux pays de la planète. Le propos n’est pas d’évoquer cet homme en particulier, mais les nombreux autres trafiquants qui, sans scrupules, agissent comme intermédiaires entre les producteurs industriels d’armes et les guerriers « irréguliers » du 21ème siècle.

En conclusion de ces quelques lignes, la question devient : quel argent, depuis quelle banque, achète des armes à des guerriers modernes, indépendants, dont les soldats, forts de Captagon, tuent et violent sans crainte ni émotion ? Lorsque ces trois causes sous-jacentes à la migration seront plus justement analysées, prises en compte et traitées avec force dans les plans d'intervention, les autres, plus traditionnellement mises en avant, les fameuses « causes profondes », telles que mentionnées en introduction, seront plus faciles et plus scientifiquement évidentes à aborder - et avec moins d'hypocrisie aussi.

La Fondation Josefa appelle à un nouveau et franc regard sur le monde et sur ses migrations. Ces quelques réflexions sont destinées à y contribuer.