Tous migrants et moi ?

La migration au sens universel

Lorsque l’on se penche sur des études historiques, biologiques, astronomiques, chimiques, … globalement sur la plupart des études scientifiques, le mouvement, à grande ou à petite échelle, est indissociable de la vie par opposition à l’inertie qui s’apparente à la mort…

La matière immobile n’existe pas dès que l’on prend un peu de recul pour l’observer au microscope ou à la lunette.

Les animaux accomplissent des migrations à travers les océans ou à travers les airs. Les hommes, depuis la nuit des temps, ont peuplé tous les recoins de la terre et se sont appliqués à chercher à découvrir des contrées inconnues et même à explorer l’espace depuis quelques années.

Les motivations pour quitter son lieu de naissance et partir vers l’inconnu sont nombreuses : migrations de masse, exodes, fuites, conquêtes, explorations, pèlerinages, voyages initiatiques, recherche de ressources vitales… ; la liste est infinie de ce qui a fait bouger et de ce qui fait encore bouger les hommes et les femmes.

Ces voyages, pour le meilleur et malheureusement aussi parfois pour le pire, ont constitué une part essentielle de l’histoire de l’humanité. Il serait naïf de prétendre qu’à un moment donné, la migration ne fait plus partie d’un des fondements de l’humanité. Je ne peux pas comprendre ceux qui présentent la migration comme un problème ou une crise alors qu’elle fait partie intégrante de notre condition humaine voire même de notre condition d’être vivant.

La migration au sens propre 

Lorsque je fais un exercice de mémoire et que je tente de réaliser d’où je suis issu, je me surprends à voyager à travers tant de pays, tant de noms, tant de traditions que j’ai un peu de mal à m’y retrouver.

Longtemps j’ai cru que le nom que je porte, Spitzer, provenait du métier d’un de mes aïeux (Spitzer figure sur des taille-mines de la marque Staedler) et je pensais que cet ancêtre taillait des pointes. Jusqu’à ce jour où mon arbre généalogique m’a dévoilé qu’avant d’habiter à Eisenstadt en Autriche, cet ancêtre habitait à Spitz et qu’il avait, depuis lors, été appelé Spitzer. Ce nom porte déjà la marque d’un voyage.

Ensuite, au fil des années, ce nom s’est mêlé à d’autres tel que Braun, Gaon, Andreades, Vanvakidou, Abdal, Madeleni, Psalti…, des levantins catholiques, séfarades, orthodoxes, ashkénazes vivant ensemble dans une harmonie fragile mais tellement riche. Ces hommes et ces femmes dont le sang coule dans mes veines avaient, j’ai envie de le croire, par amour, décidé de franchir les frontières de leurs communautés pour rencontrer l’autre.

Ces personnes, ces familles ont parfois parcouru des milliers de kilomètres pour tant de raisons, emportant avec elles leurs traditions, leur savoir-faire, leur histoire et celle de leurs aïeux. Parfois à la recherche de nouvelles connaissances, parfois fuyant des contextes hostiles, parfois cherchant tout simplement un monde meilleur pour leur famille.

Certains ont plus que probablement rencontré des obstacles en s’installant dans des régions inconnues mais tous et toutes semblent être parvenus à fonder un foyer là où ils se sont posés.

Cette histoire n’est pas unique, c’est celle de millions de personnes, depuis la nuit des temps.

(L’asile)

Lorsque j’ai lu deux lettres que mon grand-père a écrites et dans lesquelles il demande l’asile pour échapper à l’une des pires folies meurtrières de notre histoire récente et sauver sa famille, lorsque j’ai senti l’angoisse qu’il ressentait à travers chaque mot, lorsque j’ai senti la peur de pas être accepté dans ce pays qui pourrait lui offrir la sécurité, le caractère sacré des articles 13 et 14 de la déclaration universelle des droits de l’homme s’est confirmé comme une évidence absolue et incontestable.

Mes migrations

Il m’est difficile d’accepter ma sédentarité, moi qui ai accompli le voyage de ma vie étant bébé et qui, depuis, n’ai bougé que pour partir en vacances. Heureusement, un moment de honte est vite oublié. Chaque fois que je croise quelqu’un dont le parcours me renvoie à ce qu’ont vécu de proches parents ou amis de parents, je me sens en famille. La famille de ceux dont les racines existent quelque part, ailleurs, mais qui refondent une nouvelle vie, là où ils atterrissent. La famille de ceux qui emportent avec eux toutes leurs richesses, et parfois cela se résume à très peu de choses matérielles, et qui les partagent là où il leur est possible de s’installer à nouveau.

Ma migration spirituelle

Pour moi qui ne suis attaché à aucune tradition en particulier, la migration au niveau spirituel est la recherche du sens de ma présence parmi les vivants. Je revendique le droit à l’ignorance parce qu’il me pousse à chercher la vérité. Non pas pour la trouver et m’y réfugier mais pour tenter d’approcher cet absolu que nul ne saurait atteindre. Ce n’est pas volontairement, mais étant dénué de certitudes, je dois aller vers l’inconnu pour essayer de comprendre ce que je suis et le sens de ma présence ici. Dans une telle démarche, je considère que la certitude est la sédentarité et que la soif d’apprendre, de comprendre et peut-être un jour de savoir est la migration spirituelle. Chaque fois que nous acceptons d’abandonner le confort de nos connaissances, nous osons nous aventurer dans un monde inconnu, nous sommes obligés d’essayer d’en comprendre l’essence et de repenser notre être en rapport à cet univers nouveau. Je ne prétends pas que dans mon cas, il s’agit d’un travail de chaque instant, il me faut souvent me rappeler que mes connaissances sont minuscules et mes certitudes fragiles, mais j’aimerais poursuivre cette quête jusqu’à mon dernier souffle.

« Le fer se rouille, faute de s'en servir, l'eau stagnante perd de sa pureté et se glace par le froid. De même, l'inaction sape la vigueur de l'esprit ». Leonardo Da Vinci

Erwin