Pologne, comme ailleurs : Où habiter ?

Quelques regards furtifs.

Cracovie, Florence polonaise. Un cœur ancien, serti d’un jardin arboré, lui-même serti de rails de trams. Un écrin urbain, aux cloches virevoltantes et quelques traces meurtries d’une présence juive, d’anciens murs universitaires contenant le renouveau d’une pensée moderne. Habitat artistique

La Pologne, en proie à ses démons historiques, le nouveau WW2 Museum de Gdansk jouxtant le centre Solidarnosc - pour preuves s’il en fallait. D’un abime à l’autre. Sortir de la grande guerre, matériellement détruit et moralement laminé ; sortir du communisme, spirituellement exsangue. Se reconstruire vite, ou se construire. Reprendre des forces, rejoindre l’Union Européenne, nouveau giron, aux antipodes du précédent. Avec la volonté de préserver « son âme ». Face à l’Eglise et la foi catholique, règne de la loi du marché et de l’économie libérale - économie entendue au sens financier comme politique. Déjà 16 ans d’« habitat groupé ».

Wroclaw aux charmes confinés. De Simone Weil à Dietrich Bonhoeffer, quel terreau de la pensée ! Quel engrais dans ces enceintes pédagogiques jésuites. Le fleuve Oder qui serpente la ville, des funambules envahissant ses berges et appréhendant le monde du nouveau virus : masquer le masque de notre visage. Nouvel outil de dévoilement. Habiter avec le virus ambiant.

Varsovie. Son dominant palais de la culture, réplique du KGB moscovite, unique vestige d’un lourd tribut payé à l’histoire du 20ème siècle. Renaissance de la synagogue ; traces du ghetto enfoui sous la Golden Blue Tower aux destins contrariés. Penser à ces longs et rudes hivers dans ce camp de la mort, ici. Y marcher, impunément, sans se faire happer par l’histoire meurtrie encore trop récente. Habiter farouchement le présent.

Continuer à marcher, au risque de sentir les murs s’écrouler au passage, les cris enfouis. Puis, traverser la grande et large avenue Jean Paul II, et avancer, avancer vers l’avenir du pays rouge et blanc. Questionner l’habitat ecclésial.

La Pologne se présente divisée, fracturée. Les néoconservateurs versus les néolibéraux, virtuellement l’ancienne fracture de l’est et l’ouest. Les croyants versus les athées ou agnostiques. Une Pologne à deux berges, clairement polarisée politiquement, moralement et spirituellement. Habitat politique scindé.

Sous ces aspects sociétaux, le peuple polonais semble souffrir d’une maladie et d’un mal épidémiologique moderne. L’obésité est devenue un souci sanitaire national. Record européen, les enfants peinent à se mouvoir. Le constat est surprenant pour un peuple décrit si vigoureux. Cette obésité est couplée, là comme ailleurs, à l’apathie envahissante des familles et des groupes dont le regard est porté sur l’écran logé au creux de leur main, - prolongement physique du corps, au même titre que la cigarette des générations précédentes. Regards têtus ; têtes basses ; langage et communication réduites. Lourds silences. Habitat d’un corps en souffrance.

En Pologne, comme ailleurs, la solitude sociale grimace et donne une pauvre image de l’homme du 21ème siècle. En Pologne, comme ailleurs, l’homme est mutant, fondamentalement migrant. Il serait bien qu’il puisse trouver un habitat à son image, un habitat migrant qui lui permettrait de se re-découvrir, nomade et explorateur. Par-delà l’écran, s’entend.